Pascale De Visscher- Belgique-
Née en 1955 à Bruxelle
Pincer, étirer, gonfler, déformer… Selon la façon dont je l’ai pétrie, selon la position qu’elle occupe ensuite dans ma main ou sur mes genoux, l’argile se laisse aller, tantôt docile, tantôt rétive à la pression que, lentement, patiemment et de l’intérieur, je lui impose jusqu’au plus fin d’elle-même, jusqu’avant la déchirure. Juste avant. Ainsi, sous mes doigts, elle glisse, lisse, quasi moelleuse, tandis qu’à l’extérieur, elle se fendille, se crevasse, se lézarde, opposant à la sécheresse qui peu à peu la gagne, une manière de rudesse, un semblant d’armure. Mais la cuisson dénonce aussitôt l’imposture, tissant entre le dedans et le dehors un réseau doré de lumière et, par endroits, une mince cicatrice. Alors, ce qui se disait âpre et robuste devient soudain fragile et léger, à peine plus lourd que la membrane qui tente de s’en échapper.
- Le bol, c’est autre chose. Expression élémentaire du creux, degré zéro du contenant, il n’impose rien. Truchement de tous les possibles - café, rognures d’ongles, épingles ou menue monnaie - il attend, silencieux, qu’on lui assigne un rôle, qu’on le remplisse de quelque chose et par-là de sens. Le bol, c’est l’enfance du sens, un temps d’avant le verbe auquel seul le sot s’empresse d’assigner une fin, un présent qu’il convient d’apprécier à sa juste lenteur.
- La boîte, c’est la version avisée du bol. Le temps fait ici son entrée en matière. De l’immédiat on passe au différé. Du truchement on passe à la conserve. Matrice de tous les avenirs, la boîte est par là même boîte à énigmes. A peine assigné, son contenu disparaît au regard, celé sous le couvercle. Le doute aussitôt s’installe: a-t-on bien vu ? Et si l’on n’a pas vu, surgit l’irrésistible tentation de voir même si l’on sait la déception certaine. La boîte, c’est le sens tenu secret, une promesse que seul le fou s’empresse d’ éprouver, un espoir qu’il convient d’apprécier à sa juste candeur
- L’urne, enfin, c’est la version égarée du bol, la parodie affolée de la boîte. Métonymie d’un tout à partir de rien ou presque, elle dit ce qu’elle ne contient pas et ne séjourne plus qu’en nos mémoires: couleurs, odeurs, matières, sons et saveurs, fragments d’une vie et d’un temps à jamais révolus. Matrice de tous les souvenirs, elle chuchote un récit que l’on connaît par cœur mais que l’on ne se lasse pas d’entendre. L’urne, c’est la gardienne désarmée d’un sens qui a eu lieu et que seul plus fou encore s’empresse d’enfouir, un leurre qu’il convient d’apprécier à sa juste grandeur.
Pascale De Visscher